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Restrictions au port du voile et contact avec la clientèle : pour Franck MOREL, le juge européen est pragmatique et équilibré

Par Franck Morel, Avocat associé, Barthélemy Avocats, ancien conseiller de plusieurs ministres du travail

La Cour de justice de l’Union européenne vient de poser un cadre clair et équilibré à la question des restrictions possibles au port du voile liées au contact avec la clientèle. Il appartient désormais au juge national d’en tirer les conséquences.

Dans ces deux affaires, le juge européen rejette une analyse trop rigide qui aurait considéré par principe toute restriction à la manifestation de croyances religieuses comme constituant une discrimination ou qui aurait à l’inverse permis sans limite de restreindre la liberté de manifester ses croyances religieuses.

La relation avec la clientèle peut justifier une règle interne à l’entreprise restreignant le port de signes religieux visibles

Dans la première affaire soumise à son analyse et qui concernait une entreprise belge (CJUE 14 mars 2017, aff. C-157/15, G4S Secure solutions NV), la Cour considère qu’une règle interne qui impose des restrictions au port visible de signes de convictions politiques, philosophiques ou religieuses, visant indifféremment toute manifestation de telles convictions, traite de manière identique tous les travailleurs de l’entreprise et ne constitue donc pas une discrimination directe.

Elle pourrait en revanche éventuellement constituer une discrimination indirecte, c’est-à-dire aboutir à un désavantage particulier pour des personnes adhérant à une religion ou des convictions données.

Mais ce n’est pas le cas, car la volonté d’afficher dans les relations avec les clients, divers, une politique de neutralité politique, philosophie ou religieuse constitue un objectif légitime.

En son temps, la Halde avait considéré en France que le seul contact avec la clientèle ne pouvait fonder en soi une restriction au port de signes religieux (délibération 2009-117 du 6 avril 2009) comme la cour d’appel de Paris (19 juin 2003, n° 03/30212), mais pas celle de Saint-Denis de la Réunion (9 septembre 1997, n° 97/703306). Cet arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne devrait donc permettre de stabiliser la jurisprudence nationale sur ce point.

Il est d’ailleurs notable de souligner que cet objectif légitime se rapporte à la liberté d’entreprise, garantie par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le lien est ainsi fait avec l’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme qui n’admet des restrictions à la liberté de manifester ses croyances religieuses en public comme en privé que lorsque celles-ci sont notamment fondées sur des mesures nécessaires dans une société démocratique à la protection des droits et libertés d’autrui.

Mais cette restriction est également admise et considérée comme ne fondant pas une discrimination indirecte car les moyens d’atteindre l’objectif légitime sont appropriés et nécessaires.

C’est le principe de proportionnalité des mesures. Elle est donc possible car ne portant que sur les membres du personnel en contact avec la clientèle, champ d’application uniquement nécessaire pour atteindre le but poursuivi.

Enfin, c’est le caractère pérenne et cohérent de la règle collective qui permet d’en valider le principe au regard des exigences de la directive européenne. Du reste, c’est l’incohérence dans la disproportion de la pratique restrictive qui avait été rejetée par la Cour européenne des droits de l’homme au sujet du refus de permettre le port d’une croix discrète par une hôtesse de l’air alors même que cette politique n’avait pas été constante sans que l’image de l’entreprise soit mise en avant et que d’autres signes visibles avaient été admis (CEDH 15 janvier 2013, n° 48420/10).

Bien entendu, si une entreprise souhaite édicter une règle restreignant le port visible de signes religieux, elle doit le faire indistinctement, et non pour une religion déterminée.

La demande ponctuelle d’un client ne peut pas justifier une différence de traitement

Dans le second arrêt qui concernait cette fois une entreprise française (CJUE 14 mars 2017, aff. C-188/15, Micropole SA), la Cour considère que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers d’un client de ne plus voir les services de l’entreprise assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne constitue pas une exigence professionnelle essentielle et déterminante évitant, au sens de la directive européenne, de considérer la pratique comme formant une discrimination indirecte. Le juge européen avait déjà considéré comme discriminatoire un refus d’une entreprise d’installation de portes de recruter des personnes ayant une certaine origine ethnique ou raciale « en raisons des réticences de la clientèle à leur donner accès le temps des travaux à leur domicile privé » (CJUE 10 juillet 2008, aff. C-54/07, Feryn).

Ce qui est ici en question est donc le simple fait de se fonder uniquement sur une demande du client et de le faire de manière ponctuelle. En effet, cette pratique ne permet pas d’analyser la demande en question et ses fondements qui peuvent être subjectifs. La notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante qui peut fonder une différence de traitement qui, sans cela, serait considérée comme indirectement discriminatoire, ne peut que renvoyer selon le juge à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause et non, donc, sur un simple demande d’un client.

Rien n’interdirait cependant au vu du premier arrêt de poser une règle collective de neutralité pour les postes en contact avec la clientèle, pour l’image commerciale de l’entreprise, ceci constituant un objectif légitime et proportionné.

Le droit français précisé

Le droit positif français se trouve précisé et notamment le fait que les restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives – parmi lesquelles donc la liberté de manifester ses croyances religieuses – ne peuvent être légalement que justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (c. trav. art. L. 1121-1).

Il en va de même de la nouvelle disposition issue de la loi « Travail » du 8 août 2016, qui n’apportait rien de véritablement neuf par rapport à ce principe général, mais permettait de le décliner en principe de neutralité restreignant l’affirmation de convictions dans le règlement intérieur si celui-ci est justifié par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités de fonctionnement de l’entreprise et proportionné au but recherché (c. trav. art. L. 1321-2-1).

Reste maintenant à la jurisprudence nationale de relayer ces arrêts.

CJUE, 14 mars 2017, C-157/15, G4S Secure solutions NV http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=188852&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=129591 ; CJUE, 14 mars 2017, C-188/15, Micropole SA http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=188853&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=129421

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